Clément Fleury : apprenti-électricien… il y a 80 ans

Clément Fleury est un citoyen d’Alma âgé de 99 ans « point cinq », précise-t-il. Il y a 80 ans, il a travaillé comme apprenti-électricien au raccordement et à la mise en fonction des douze groupes turbine-alternateur (GTA) de la Centrale Shipshaw.

Vif d’esprit, actif, et pince sans rire, M. Fleury a eu la générosité de rencontrer les employés de la Centrale Shipshaw le 12 décembre dernier et de partager des passages de son histoire. Une visite dans la centrale, dans le passage piétonnier et à la salle de commande, a aussi été une occasion « de revenir à la maison », où il n’avait pas remis les pieds depuis le démarrage.

La droiture et l’énergie de M. Fleury sont saisissantes. Garder la forme n’a pas de secret pour lui : « Il faut des projets et du travail! J’en ai plein la tête et sur mon bureau! J’ai des notes partout. Il faut que ça travaille, le cerveau. Il faut aussi écouter son corps, qu’est-ce que notre corps nous dit, parce que lui, il sait ce dont on a besoin. Travailler, ça ne fait pas mourir. Soyez actifs, soyez heureux! », conseille-t-il.

« C’est là que je travaillais, en-dessous », dit-il en pointant un GTA. Sa visite dans le passage piétonnier de la centrale, où les GTA sont visibles, lui rappellent son travail et les risques en santé-sécurité auxquels il faisait face. « J’ai raccordé la turbine avant qu’elle parte. Il fallait se coucher en-dessous, sur le dos… J’avais la frousse, j’avais peur que ça parte, je me dépêchais! » L’encadrement en santé-sécurité a grandement évolué depuis ce temps. « Lors d’une nuit fraiche, j’avais un petit coupe-vent… on n’était pas habillés. Quand je vous vois aujourd’hui bien habillés et à la chaleur, je vous envie! »

Pour cet emploi d’apprenti électricien, M. Fleury avait été embauché par la compagnie Canadian Comstock, après avoir été chauffeur de camion lors de travaux à la Centrale Chute-à-Caron. « Je pensais au mariage un peu… je me suis dit que ce n’était pas ici que j’allais faire ma vie, alors j’ai fait application à la Canadian Comstock », affirme-t-il.

M. Clément Fleury, en 1943.

Les souvenirs sont bien présents encore. « C’est resté là-dedans, surtout ceux avec mon contremaitre, qui était slovaque. On était juste deux. Il y avait lui et moi, et il me donnait des ordres… je ne comprenais absolument rien! Il ne parlait pas un mot français, et moi pas un mot anglais, mais on s’est bien entendu pendant une année, de la première à la douzième turbine. Les autres attendaient qu’on les raccorde avant de les partir. Mais avec les signes et le temps, on se comprenait », se rappelle-t-il.

À cette époque, le salaire de M. Fleury était de 0,35 $ de l’heure, et il était logé et nourri. Le contexte de travail était bien différent d’aujourd’hui. « Nous autres, on ne posait pas de questions. Tu faisais ta job! Je me suis déjà fait dire de faire ma job, de ne pas dire un mot, parce qu’il y en a d’autres qui attendent pour la faire. » De plus, des journées de huit heures, sur quatre ou cinq jours, c’était de l’inconnu. « On travaillait 10 heures par jour, six jours par semaine. Ça pressait, on était en guerre. Le dimanche, on allait à la messe, pour être protégés pendant la semaine », témoigne-t-il.

L’effort de guerre ressasse des émotions pour cet homme qui a réellement mis l’épaule à la roue. « Quand tu es rendu à un certain âge, tu te questionnes, il t’en passe des idées dans la tête, comme des histoires que tu as vues et que tu ne veux pas raconter, parce que ça pourrait briser des choses. Mais il faut passer par là », réfléchit-il.

Quand le contrat à la Centrale Shipshaw s’est terminé, la compagnie envisageait de transférer M. Fleury en Ontario, mais ce n’était pas son souhait. Prêt à se marier – ce qu’il a fait à l’âge de 19 ans, il est resté en région. « J’ai travaillé pour une filiale de l’aluminium, Saguenay Électrique. On faisait la distribution d’électricité. J’ai travaillé 16 ans pour eux autres. J’ai beaucoup appris de la compagnie et ça m’a donné le goût de bâtir la mienne. Après 16 ans, je me suis parti en affaires. J’ai appelé ça Électro Saguenay, parce que dans ma tête, j’avais travaillé pour la compagnie électrique du Saguenay. » L’entreprise de 62 ans compte aujourd’hui plus de 150 employés. Celle-ci a été reprise par ses fils en 1990, année où il a pris sa retraite.

M. Clément Fleury, dans son camion, en 1949.

Cette visite lui a rappelé beaucoup souvenirs. « Vous m’avez fait plaisir, les amis, vous m’enlevez dix ans… je suis rendu à 89! », conclut-il.

La Centrale Shipshaw, la plus puissante au Canada lors de sa construction, a été complètement mise en opération le 20 novembre 1943. La vitesse des travaux étant plus importante que l’économie en raison de la guerre, la centrale de 71 M$ a coûté le double de la facture du temps de paix à un rythme de travail normal. Une moyenne de 3960 hommes a travaillé quotidiennement à sa construction, pour un total de 47 747 personnes embauchées. M. Clément Fleury en fait partie.

Vous aussi, assistez en partie au témoignage et à la visite de M. Fleury, où il raconte son parcours et d’autres anecdotes du travail de l’époque :

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Biographie :

Après son passage à la Centrale Shipshaw, M. Fleury, originaire de Saint-Cœur-de-Marie, a tracé un parcours impressionnant en tant que citoyen engagé pour sa région, démontrant ainsi que tout a commencé à cet endroit :

–             Fondateur Électro Saguenay Ltée et président-directeur général | 1961-1990

–             Maire de Saint-Cœur-de-Marie | 1958-1972 puis 1978-1979

–             Préfet du conseil de comté Lac-Saint-Jean | 1966-1967

–             Président de la commission scolaire | 1966-1968

–             Directeur de l’Association de construction Saguenay–Lac-Saint-Jean Chibougamau | 1982

–             Responsable du nouveau parc de la reconnaissance de Saint-Cœur-de-Marie | 2020

M. Clément Fleury, en haut à droite (marqué d’un x blanc), à une soirée de la compagnie Électrique du Saguenay, en 1955.